2 Avril 2025 26 % .
C’était le taux de droits de douane imposés par Donald Trump aux produits en provenance d’Inde. Quelques jours plus tard, le président américain qui a secret des volte-faces, repoussait cette taxation éventuelle à 90 jours.
Quoi qu’il en soit, l’économiste chercheuse et professeure Catherine Bros s’est risquée à développer l’idée que cette nouvelle politique de Trump sur les tarifs douaniers pourrait être une opportunité pour l’Inde.
Son analyse met en valeur les raisons pour les Indiens de voir la situation avec un certain optimisme pour repositionner leur pays … même si s’il existe beaucoup de si … et dans un scénario américain qui a largement le temps d’être bousculé !
Il reste que cela permet de revisiter avec un grand intérêt les relations commerciales entre l’Inde et les USA comme les questions du protectionnisme indien ou de l’intégration de l’Inde dans le commerce mondial.
Trois raisons pour lesquelles les tarifs de Trump peuvent être une opportunité pour l’Inde
par Catherine Bros
Les Etats-Unis sont le premier client de l’Inde. Ils concentrent 19% des exportations indiennes. Néanmoins, l’Inde s’est considérée comme relativement épargnée par la nouvelle politique douanière américaine dévoilée le 2 avril dernier. Les droits de douane américains sur les biens indiens passeront ainsi de 17% en 2023, à 26%. Ce chiffre est bien inférieur aux droits imposés aux autres nations du sud-est asiatique, qui dans une certaine mesure, sont concurrentes de l’industrie indienne. Le Bangladesh par exemple, se voit imposer des droits de douane à 37%, le Vietnam, 46% et la Thaïlande 36%. De plus, certains secteurs clefs de l’industrie indienne, comme l’industrie pharmaceutique, sont exempts de droits supplémentaires. De plus, l’Inde, qui n’a pas prévu de riposter, a au contraire, bon espoir de conclure un accord relativement avantageux grâce aux négociations bilatérales engagées dès février 2025, suite à la visite du Premier Ministre indien Narendra Modi aux Etats-Unis.
Un regain de compétitivité relative?
Certains voient dans cette nouvelle politique douanière une occasion pour l’Inde de se réindustrialiser, ce dont elle a grandement besoin pour le développement de son emploi. L’Inde a, au fil des ans, perdu son avantage comparatif dans un certain nombre de secteurs au profit d’autres pays d’Asie du Sud et du Sud-Est comme le Bangladesh, la Thaïlande ou le Vietnam. Or, ces derniers font face à des droits de douane plus élevés que l’Inde, et en plus forte augmentation ce qui peut laisser espérer un regain de compétitivité pour les industries indiennes. Ces dernières ont cependant perdu beaucoup de temps. Ces secteurs relativement peu compétitifs au niveau international ont été peu modernisés et sous-investis.
La stratégie industrielle indienne a préféré se concentrer sur des secteurs plus avancés technologiquement en instaurant, au travers du Production Linkes Incentive Scheme (PLI), des subventions à la création de capacité de production afin de diminuer sa dépendance aux importations et de stimuler ses exportations dans des secteurs prioritaires. Le secteur des semiconducteurs, par exemple, en a largement bénéficié avec l’espoir, entre autres, de faire de l’Inde un hub manufacturier pour ces produits. La tâche sera certainement rendue plus ardue par la politique protectionniste américaine.
Enfin la réindustrialisation indienne doit passer par des réformes règlementaires et des investissements dans les infrastructures. En dépit des substantiels progrès réalisés dans ces domaines, il reste à faire.
Dans tous les cas, pour que la politique protectionniste américaine puisse encourager le développement de l’industrie indienne, il lui faudrait être stable et inscrite dans le long terme, ce qui ne semble pas être l’orientation première de l’actuelle administration américaine.
L’Inde peut néanmoins voir dans cette politique douanière américaine une aubaine économique et politique de plus long terme et ce pour trois raisons.
La spécialisation dans les services et une faible intégration au commerce mondial
Premièrement la participation de l’Inde au commerce mondial des biens est modeste compte tenu de la taille de son économie: la part de marché de l’Inde dans les échanges mondiaux était en 2023 de 2%. Une des raisons possibles pour lesquelles l’Inde a été relativement épargnée par la hausse des droits de douane est qu’en dépit d’une balance commerciale de plus en plus excédentaire vis-à-vis des Etats-Unis, les importations indiennes représentent à peine 3% des importations totales américaines. Son économie, très peu intégrée dans les chaînes de valeur mondiales, contrairement à celles de ses voisins sud-asiatiques sera de facto, moins durement secouée par la nouvelle politique douanière américaine. De plus, si son économie échange peu de biens avec les reste du monde, l’Inde dispose d’un avantage comparatif dans le secteur des services qui constitue près de la moitié de ses exportations de biens et services. Or, les services sont peu concernés par les droits de douane et en dehors du périmètre de la nouvelle politique américaine.
La validation de la politique protectionniste indienne
Deuxièmement, le tournant protectionniste américain, peut venir renforcer la conviction du gouvernement indien dans le bien fondé d’une faible intégration de son économie dans les échanges mondiaux de biens. L’économie indienne est peu ouverte et sa politique commerciale tend depuis longtemps vers le protectionnisme. Le dernier plan de politique industrielle “Atmanirbhar Bharat” vise à la fois à la promotion des exportations mais également à l’autonomie stratégique de l’économie indienne dans bon nombre de secteurs.
La politique industrielle indienne depuis le programme “Make in India” n’a pas cherché à créer de la croissance par les exportations, mais à attirer les capitaux étrangers pour la création sur le territoire indien de capacité de production à destination principalement, du marché indien.
L’Inde plus que jamais courtisée
Troisièmement, l’Inde renforce sa position stratégique sur la scène internationale. Son économie attirait déjà les convoitises des investisseurs européens, grâce à son marché potentiel de 1,4 milliard de consommateurs et son positionnement d’alternative en Asie à la Chine. Le comportement erratique de l’administration américaine et ses tentatives de retrait rendent tout partenariat avec l’Inde encore plus désirable pour les européens. Nul doute que les pourparlers commerciaux pour un accord entre l’Union Européenne et l’Inde entamés en 2022, et remis sur le devant de la scène par la visite de la présidente de la commission européenne à New Delhi en février 2025, prendront une autre dimension aux yeux des européens. Or, le gouvernement indien a considérablement oeuvré pour que l’Inde devienne un acteur pivot dans la communauté internationale. Ce rôle de premier plan sur la scène internationale constitue, pour le gouvernement nationaliste un atout électoral significatif et devait renforcer son influence au sein du pays.
Catherine Bros est économiste, chercheuse, professeure à l'Université de Tours
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(1) moyenne des droits MFN. https://www.india-briefing.com/news/us-imposes-26-tariff-on-india-36763.html/