Le mouvement rassemble plus de deux millions de femmes dans quinze Etats d’Inde.
De l’autre côté de la rivière Sabarmati qui traverse Ahmedabad, la banque Sewa ne ressemble à aucune autre banque. Ici, des femmes viennent déposer cinq roupies, l’économie du jour, et en retirer 20 sur leur compte ! Ne leur a-t-on pas appris qu’il fallait toujours donner quelque chose quand on va à la banque. On y vient pour bavarder avec ses amies, retrouver des « sœurs », recevoir une formation à la gestion des finances. « La banque est comme la maison maternelle. L’atmosphère y est informelle. On peut y rire, jouer, pleurer... » disait Ela Bhatt. Cette banque coopérative de femmes, unique en son genre, a débuté en 1974 avec 4000 femmes qui se sont engagées à déposer 10 roupies de leur gain quotidien comme part au capital. Trente-cinq ans plus tard, plus de 55 000 femmes étaient actionnaires de la banque. Plus de 305 000 femmes y avaient un compte. Que l’une d’elle souhaite acquérir un outil de travail, une terre ou un logement, le prêt ne sera accordé que si le bien est au nom de la femme. « Les illettrés aussi produisent de la richesse. Ils savent comment traiter des affaires. Ils ont besoin d’accéder à l’argent, » soutenait Ela Bhatt.
Au fil des ans et sous l’initiative d’Ela Bhatt, Sewa a remporté bien des victoires : une rémunération minimum a été fixée pour les rouleuses de bâtons d’encens ou de bidis qui travaillent à la pièce – une première en Inde. Des négociations tripartites entre employeurs, gouvernement et travailleurs indépendants ont permis de fixer les prix et conditions de travail. Une convention collective pour travailleurs indépendants a été élaborée. Les brodeuses ont vu la chaîne d’intermédiaires avec qui elles traitent diminuer. Les vendeurs des rues ont obtenu des emplacements pour vendre, suite à une victoire de Sewa contre la Haute Cour du Gujarat. Des crèches ont été ouvertes, des accords négociés avec les hôpitaux pour des soins gratuits, des formations sont dispensées. « Les conditions de travail et les gains se sont améliorés pour chacune d’entre nous, » confirme une ex-fabricante de bidis et aujourd’hui chef de section au syndicat Sewa. Assise à son bureau, elle gère, conseille, tamponne les documents. Avec fierté.
Mais tant reste à faire ! Ainsi les femmes qui sur les chantiers de construction, deuxième vivier d’emplois derrière l’agriculture, portent des charges à longueur de journée, ne sont couvertes par aucune loi en Inde. Ela Bhatt, membre du Parlement indien et présidente de la commission pour le secteur informel, au niveau national, s’est employé à lutter contre les injustices. « Une majorité des travailleurs en Inde sont dans le secteur informel. Il faut protéger les conditions de vie de ces travailleurs, » disait-elle. « Nous avons obtenu que des femmes invisibles soient visibles. Maintenant nous luttons au niveau de la visibilité politique. Nous oeuvrons pour l’établissement d’une sécurité sociale. C’est au niveau de la Chambre Haute. Mais en Inde tout prend si longtemps ... ». Son combat pour les pauvres et la liberté économique, celui qu’elle a expliqué dans son livre « We are poor but so many » (nous sommes pauvres mais si nombreux), Ela Bhatt l’a poursuivi au plan international : de Durban à Johannesbourg, elle a expliqué son action, son combat pour les déshérités. Elle était de tous les congrès, affiliée à plusieurs réseaux internationaux. « Quelle fierté que de représenter les vendeurs de rue à l’ONU ! C’est le début d’une reconnaissance globale. »
Dominique Hoeltgen
10 roupies = 0,12 €
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