Septembre 2022
Shumona Sinha signe cet hommage personnel à cette journaliste indienne très engagée, assassinée il y a juste 5 ans, et à toutes les voix qui s'élèvent contre l'extrémisme. Shumona Sinha est franco-indienne, vit en France et est romancière de langue française.
lls étaient deux sur la moto.
Le 5 septembre 2017, à partir de 19h15 les deux hommes vêtus de noir traînaient devant la résidence de la journaliste, à Bangalore, la capitale de l’État de Karnataka. Gauri Lankesh arrive vers 20h. Les deux motards se placent derrière sa voiture, la dépassent, au moment où elle va rentrer chez elle, l’homme assis en arrière de la moto, tire à bout portant quatre balles sur elle. Deux autres hommes sur leur moto les rejoignent et continuent la fusillade. Blessée à la poitrine, à la tête, à la nuque, la journaliste s’écroule.
Critique intransigeante de la politique ultranationaliste, hindouiste de Narendra Modi et de son parti BJP, engagée contre le système de castes, pour défendre les causes féministes, assassinée à l’âge de 55 ans, Gauri Lankesh est la plaie saignante sur notre conscience. Mais pas seulement. Son assassinat expose davantage ce qui se passe depuis des années dans le pays connu autrefois comme la plus grande démocratie du monde, désormais pris en otage par un chef d’État et par son parti d’extrême droite qui mènent sans vergogne une politique liberticide, génocidaire.
L’un des assassins de Gauri Lankesh, celui qui conduisait la moto, a assassiné le 30 août 2015 dans le même État de Karnataka, M. M Kalburgi, âgé de 76 ans, écrivain et professeur, spécialiste de la religion hindoue de la communauté lingayat, concepteur des interprétations érudites du courant lingayat.
Le 20 février, 2015 dans l’État de Maharastra est assassiné Gobind Pansare, âgé de 81 ans, leader communiste (CPI), activiste contre l’Hintudva, contre la Shiv Sena – la milice hindouiste, activiste pour mariage inter-castes, contre le rituel qui aide prétendument les futurs parents à avoir un fils, contre la glorification de Nathuram Godse – assassin du Mahatma Gandhi et nouveau héros de la milice. Depuis la publication de son livre sur le roi médiéval Shivaji, la décision a été prise. L’icône de la gloire nationaliste est dépeinte par Pansare comme un roi séculaire, clément envers les musulmans dont nombreux avaient été nommés généraux de son armée. Un tel portrait entrave la mission du nettoyage ethnique prônée par le parti BJP, par les milices RSS, Shiv Sena, Sanatan Sangstha.
Le 20 août 2013 est assassiné Narendra Achyut Dabholkar, âgé de 67 ans, médecin pratiquant, rationaliste, athée, activiste social, engagé contre les cérémonies de mariage extravagante, contre le système de castes et de dot, fondateur-président du comité pour l’éradication des superstitions.
Une liste d’offenseurs est désormais établie par les milices religieuses, les hommes et les femmes à abattre : au total 35 leaders politiques, activistes, professeurs, chercheurs, historiens, écrivains, journalistes … à travers le pays, du Penjab au Tamil Nadu. Les fanatiques hindouistes exécutent ce que leurs gurus et leaders prêchent. Même si le procès est entamé contre les assassins de Gauri Lankesh, le caractère de haine religieuse et d’exécution meurtrière hindouiste n’est pas mentionné. Aucun des assassins des autres meurtres mentionnés ci-dessus n'est arrêté.
Le projet fasciste de la milice RSS et du parti BJP qui est né de la milice n’est plus un secret. Ils ont pour modèle les groupes européens d’extrême droite, adulent Hitler et Mussolini, forment leurs militants en tenue brune aux arts martiaux et à la lutte armée, prêchent la suprématie des hindous en Inde et déclarent ouvertement que leur objectif est de traiter les musulmans indiens de la même façon que les juifs ont été traités en Allemagne nazie, mènent la politique d’oppression sanguinaire contre tous les opposants, leaders, militants, intellectuels, agriculteurs, travailleurs… Les fanatiques hindouistes, les pauvres ignares ne sont pas les seuls à voter pour Modi et son parti. Les magnats des multinationaux sont leurs alliés redoutables. Les fanatiques hindouistes s’implantent en Allemagne, en France et aux États-Unis, apportent leur soutien découplé à Narendra Modi et à Donald Trump.
Ce n’est plus un secret pour personne pourquoi et comment malgré avoir été banni sur le sol des États-Unis pendant plus de dix ans pour son crime génocidaire, Modi est revenu en force sur la scène politique internationale, pourquoi et comment il a réussi à renouer avec les pays puissants de l’Occident. Quand les intérêts commerciaux emportent sur les droits humains, il reste les engagés sans-frontières qui n’oublient rien.
Devenue le symbole du mouvement anti-Modi, antifascisme, décorée à titre posthume du Prix Anna Politkovskaya, le jour de l’assassinat de Gauri Lankesh est désormais commémoré par la ville de Burnaby du Canada depuis 2021. La décision est prise par le conseil municipal et signée par le maire de la ville, Mike Hurley.
Peut-on espérer le même en France où il existe tant de gens amoureux, curieux, passionnés de l’Inde ? Le 5 septembre, est-ce que cette date peut devenir, à travers le monde, un nouveau point de départ ? Un trait d’union entre la mémoire et l’avenir ? Un lien indestructible entre la douleur et la Résistance ?
Shumona Sinha
Shimona Sinha
“L'écrivaine indienne de la francophonie.”
Romans : Assommons les pauvres, Calcutta, Apatride ( Ed. de l'Olivier )
Le testament russe ( Gallimard)
Prix: International Literature Award, Prix Valery Larbaud, Prix du Rayonnement de la langue et de la littérature françaises