par Christophe Jaffrelot
et Kalrav Joshi
Novembre 2023
par Christophe Jaffrelot
et Kalrav Joshi
Novembre 2023
Du soutien à la cause palestinienne initiée par Nehru et de la relation personnelle entre Indira Gandhi et Yasser Arafat jusqu'à l'abstention de l'Inde, le mois dernier, concernant la résolution des Nations Unies en faveur d'une trêve humanitaire après l'occupation de Gaza par l’armée israélienne - l’Inde fut d’ailleurs le seul pays d'Asie du Sud à s’abstenir, tous les autres lui apportant son soutien –, le changement de cap de l'Inde est révélateur d’un rapprochement croissant entre New Delhi et Tel Aviv.
Certes, les relations entre l’Inde avec Israël avaient déjà pris un essor considérable depuis le début des années 1990. Mais c’est sous l’impulsion du Premier ministre Modi qu’Israël est devenu un partenaire majeur de l’Inde, ce qui s'est traduit non seulement par des relations commerciales en hausse mais aussi par une coopération économique accrue et des transferts de technologie militaire justifiés par la lutte contre le terrorisme. Ces échanges ont été sous-tendus par des considérations politiques et idéologiques de plus en plus explicites.
Les affinités entre le nationalisme hindou et le Sionisme procèdent non seulement de l’identification – en la personne des musulmans, la plus grande minorité religieuse de leur pays – mais d’une admiration précoce des promoteurs de l’Etat d’Israël par les partisans de l’Hindutva.
Les nationalistes hindous sont fascinés depuis longtemps par les Juifs et le Sionisme.
Les nationalistes hindous sont fascinés depuis longtemps par les Juifs et le Sionisme. V.D. Savarkar, l’auteur de la charte du nationalisme hindou en 1923, Hindutva, who is Hindu? croyait que les Hindous et les Juifs partageaient la même histoire d’oppression sous le joug des musulmans. D’où une bonne partie de son soutien à la cause sioniste: « Si les rêves des sionistes se réalisent un jour – si la Palestine devient un État juif – cela nous réjouira presque autant que nos amis juifs.» À la fin de 1947, Savarkar condamnera catégoriquement le vote de la délégation indienne à l'Assemblée générale de l'ONU contre le plan visant à diviser la Palestine en un grand État juif et un État arabe beaucoup plus petit. Il avait même plaidé en faveur d'un État arabo-juif binational en Palestine, un Etat donnant la primauté aux Juifs.
Le principal idéologue RSS de l'époque, M S. Golwalkar, était allé plus loin lorsque, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, il avait considéré que "Les Juifs avaient réussi à sauver leur race, leur religion, leur culture et leur langue, et [que] tout ce qu'ils désiraient, c'était retrouver leur territoire naturel pour parachever leur nationalité". Il faisait là preuve d'une empathie particulière pour les sionistes et avait fait valoir avec véhémence que la seule façon de parvenir à leurs fins serait d’exercer une autorité totale sur un territoire via la création d’un État. Une partie significative de cette empathie reflétait le sentiment d’insécurité des nationalistes hindous qui les conduisait à demander la création d’un Rashtra (Etat-nation) Hindou comparable à celui qu’envisageaient les sionistes en Palestine.
Le Sionisme et l'Hindutva sont deux idéologies reposant autant sur l’ethnie que sur la religion. Bien que le Judaïsme et l'Hindouisme aient de l'importance pour le Sionisme et l’Hindutva, ces mouvements ne sont pas principalement de nature religieuse. Pour les sionistes et les nationalistes hindous, les Juifs et les Hindous ne sont pas des communautés de croyants, mais deux peuples. Savarkar présente d’ailleurs les Hindous comme formant une « race-jati » dans son livre devenu un classique qui reste d’une grande actualité un siècle après sa publication. L'autre chose que le Sionisme et l'Hindutva ont en commun est leur vision du territoire de leurs pays respectifs : la Palestine est la terre sacrée des Juifs tandis que l'Inde est le Punyabhumi (lit. « terre sacrée ») des Hindous.
Ces traits communs vont de pair avec une réalité historique qui peut paraître contradictoire : Savarkar a aussi manifesté son admiration pour Adolf Hitler et sa politique antisémite avant l'Holocauste. Il a, par exemple, salué la législation anti-juive mise en œuvre par les nazis, la considérant comme la meilleure méthode pour fondre la minorité juive dans la majorité aryenne en Allemagne. Il a d’ailleurs imaginé soumettre les musulmans résidant en Inde à la domination hindoue en suivant les mêmes principes.
Tous ces mouvements partagent la même inspiration anti-universaliste
Golwalkar, derechef, est allé plus loin encore. Dans We, or Our Nationhood Defined (publié en 1939) il indique: « Pour maintenir la pureté de la race et de sa culture, l'Allemagne a choqué le monde en purgeant le pays des races sémitiques - les Juifs. La fierté raciale s'est manifestée ici à son apogée. L’Allemagne a également montré à quel point il est presque impossible pour les races et les cultures présentant des différences fondamentales, d'être assimilées en un tout uni, une bonne leçon pour nous, en Hindousthan, dont il nous apprendre et tirer profit. »
Ce soutien aux forces antisémites qui avaient pris le pouvoir en Allemagne en 1933 est paradoxal, compte tenu des affinités entre l'Hindutva et le Sionisme. Mais un paradoxe n'est pas une contradiction : le nazisme s'appuyait aussi sur une idéologie raciale et avait donc bien des traits communs avec l’idéologie de l’Hindutva.
En fait, tous ces mouvements partagent la même inspiration anti-universaliste – et ceux qui sont nés dans les années 1920, un siècle plus tard cultivent les mêmes principes.
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Cet article est l'adaptation française d'une publication en langue anglaise dans l'Indian Express de novembre 2023
Christophe Jaffrelot est Directeur de recherche au CERI-Sciences Po/CNRS, Paris.
Kalrav Joshi est un chercheur indépendant, journaliste et ancien élève de la London School of Economics and Political Science.